La Molette : petit hameau d’une quinzaine de maisons, sur la paroisse d’Auzelles, au cœur du Livradois d’Auvergne, pays vallonné, parsemé de fermes et de villages, entourés de cultures, de prairies et de bois. C’est là que, le 30 août 1732, naît François, second à avoir vécu d’une fratrie de huit enfants. Outre l’activité agricole qui permet à cette grande famille de vivre, les Gaschon sont « marchands peigneurs de chanvre », une activité de tissage importante et lucrative de la région à cette époque. Cela permettra à François et à ses frères de faire des études chez les Jésuites : deux deviendront prêtres, le troisième avocat à Riom.
François est ordonné prêtre en 1756 et nommé vicaire en paroisse. Mais désirant donner à son apostolat un champ plus vaste, il décide en 1765 de rejoindre la « Compagnie de la Mission de Notre-Dame de l’Hermitage », fondée un siècle plus tôt pour l’évangélisation des campagnes du diocèse de Clermont. Il y passera près de trente ans, exerçant un ministère fécond auprès des paysans. Parmi ces prêtres dont le zèle faisait des merveilles, il suscite l’admiration de tous, y compris de ses confrères, par ses vertus, par sa proximité avec les gens simples, par son habileté à réconcilier les familles, par ses dons de prédicateur populaire.
La Révolution interrompra ce ministère en 1791. Comme tant d’autres prêtres, le Père Gaschon prend alors la décision d’entrer dans la clandestinité, pour continuer son apostolat malgré le danger. C’est là que son tempérament paysan fera des merveilles : caché sous les apparences d’un rémouleur, d’une bergère, d’un vigneron, il parcourt les montagnes et la campagne, apportant les secours des sacrements et de la Parole de Dieu dans les moindres hameaux de la “Vendée auvergnate”. Il échappe miraculeusement à toutes les recherches, jusqu’au jour où, pris par les gardes nationaux, ceux-ci, soudainement subjugués par son rayonnement, tombent à genoux et lui demandent sa bénédiction !
En 1801, le Concordat ramène la paix religieuse en France. Le Père Gaschon, sorti de la clandestinité, devient en 1804 vicaire à Ambert, capitale du Livradois, au centre d’un vaste territoire rural. Il prend pension à l’hospice de la ville, ancien couvent de Récollets alors délabré. C’est là qu’il passera les dix dernières années de sa vie, pauvre parmi les pauvres, ne cessant de porter partout les réconforts de la foi, et de remettre la paix dans les cœurs en cette époque troublée. Voici le témoignage qu’a laissé un de ses enfants de chœur :
« Quoique bien vieux, le père Gaschon ne reculait jamais devant l’accomplissement d’aucun devoir de son ministère : la puissance de ses forces morales suppléait à l’affaiblissement de ses forces physiques. Dès qu’il s’agissait d’aller offrir ou de porter les consolations de la religion, il retrouvait toute la vigueur de la jeunesse. Que de fois, lorsque, enfant, j’agitais devant lui la sonnette qui annonçait l’approche du saint Viatique, il me faisait arrêter par compassion pour la faiblesse de mon âge ! Je le voyais alors, guidé par un robuste paysan, le suivre sans hésiter, quoiqu’aveuglé par la neige qui le fouettait au visage, et gravir courageusement nos montagnes abruptes, bien qu’il eût les pieds gonflés par la fatigue et blessés par les glaces.
« Quand il avait achevé de remplir son ministère de miséricorde et de réconciliation, il ne quittait jamais le village sans adresser à la foule qui l’entourait quelques paroles d’édification, quelques sérieuses réflexions sur le bon emploi de la vie, si courte, si fugitive, et sur la nécessité d’avoir toujours la pensée de la mort imminente présente à l’esprit. Les assistants emportaient avec eux des pensées religieuses et graves ; ils se séparaient en silence, ou bien répétaient entre eux : “Ce que dit le saint homme est bien vrai !”
« En revenant de paroisse, lorsqu’il en rencontrait sur son chemin, le Père Gaschon avait toujours quelques bonnes paroles pour l’ouvrier occupé à son travail, pour le laboureur qui cultivait son champ. Souvent, il entrait dans les maisons les plus humbles, s’asseyait sur le siège du pauvre, l’entretenait de sa famille, de ses travaux, de son âme. Aussi on se ferait difficilement une idée de la popularité dont jouissait le saint prêtre. Objet de la vénération publique, partout où il allait, il en recevait les témoignages les plus touchants. »
« Après les fêtes de Pâques, il faisait une tournée générale dans la paroisse. Il savait déjà qui avait rempli son devoir et qui non ; il félicitait les plus diligents, pressait les traînards, poursuivait les fugitifs. Un coup d’œil rapide dans l’appartement lui apprenait si un crucifix était appendu à la muraille, si une image de la Sainte Vierge était près du chevet, si le bénitier rempli était là avec la branche de buis du dimanche des Rameaux ; il ne dédaignait pas de descendre à ces petits détails par où se manifeste et s’alimente la foi dans les familles. »
Enfin, le 28 novembre 1815, le bon Père achève sa course après une journée de maladie. Il est enterré dans la chapelle même de l’hospice, au milieu d’un immense concours de peuple, toutes conditions et opinions confondues. Depuis lors, les pèlerinages sur sa tombe n’ont pas cessé ; d’innombrables témoignages de grâces ont été recueillis.
Aussi, l’évêque de Clermont décide-t-il en 1924 d’ouvrir un procès diocésain en vue de la béatification de celui que tous appellent « le saint Père Gaschon ». La guerre et les événements du XXe siècle vont ralentir le processus. Une étape décisive est pourtant franchie en 1998, lorsque le pape saint Jean-Paul II le proclame « vénérable », reconnaissant ainsi l’héroïcité de ses vertus. Actuellement, un miracle est à l’étude à Rome, qui pourrait ouvrir la voie à sa béatification.