Le mot Kérygme est le décalque du grec kérugma qui signifie proclamation à haute voix par un héraut ou un crieur public. C’est donc un office et une mission qui touche le public en lui faisant connaître les intentions de celui qui envoie. Transposons cet office et cette mission profanes dans le domaine du sacré : la « Bonne Nouvelle » doit être proclamée.
Saint Jean-Baptiste est le premier « crieur » de Jésus comme la voix de celui qui crie dans le désert : « prêchant (kérusson) dans le désert de Judée, et disant : “Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche.” » (Mt 3, 1-2) Jésus lui-même reprend la proclamation là où saint Jean-Baptiste la laisse : « Dès lors, Jésus commença à prêcher, en disant : “Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche.” » (Mt 4, 12)
Mais qu’est-ce que ce royaume des cieux qui vient ? C’est celui dont Jésus dira à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. » (Jn 18, 36)
Alors en quoi cela nous concerne-t-il puisque nous sommes sur terre et que ce Royaume n’est pas de ce monde ? Jean puis Jésus annoncent une proximité telle entre repentir et royaume qu’il s’agit entre les deux d’une relation de cause à effet : j’appartiens au royaume si je me repends, mon repentir devient la condition de mon accès au royaume. Cela signifie que ce royaume existe avant moi. Ce n’est pas moi qui crée ce royaume mais il dépend de moi d’y accéder et la condition première c’est le repentir.
Et les juifs qui connaissent le prophète Joël savaient bien ce que signifiait « se repentir » : vers l’an 400 le prophète avait exhorté le peuple à revenir à son Seigneur : « Revenez à moi de tout votre cœur, avec des jeûnes avec des larmes et des lamentations. Déchirez vos cœurs, et non vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu ; car il est miséricordieux et compatissant, lent à la colère et riche en bonté, et il s’afflige du mal qu’il envoie. » (Jo 2, 12-13) L’appel lancé par le prophète dévoile le motif premier de la proclamation, c’est l’amour incompréhensible dont le Seigneur enveloppe un peuple choisi gratuitement entre tous les peuples de la terre, qui devient son peuple, le peuple juif. Dieu est miséricordieux et compatissant c’est-à-dire qu’il se penche sur la misère et même qu’il « souffre avec ».
Le Seigneur va en multiplier les preuves, non pas en envoyant d’autres prophètes, mais en venant lui-même porter son message de réconciliation par son Fils. Jésus révèle, en parcourant notre temps, les caractéristiques et les exigences du Royaume par toute sa vie publique qui manifeste aussi son identité. Comme Jean-Baptiste, Jésus est envoyé et exerce une mission reçue mais il va faire comprendre qu’il est lui-même le message qu’il annonce.
Il faut ajouter à l’annonce du Royaume de Dieu (le contenu du « kérygme » de Jésus), la proclamation de l’événement Jésus Christ (c’est-à-dire le « kérygme » des Apôtres). Les deux annonces se complètent et s’éclairent réciproquement. « Avant de les quitter, Jésus donne aux siens un « commandement nouveau » : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34). L’amour dont Jésus a aimé le monde a trouvé son terme le plus expressif dans le don de sa vie pour les hommes (cf. Jn 15, 13) qui manifeste l’amour que le Père a pour le monde (cf. Jn 3, 16).
Le discours de saint Pierre le jour de la Pentecôte est le premier kérygme apostolique ; il annonce Jésus qui a souffert, est mort et est ressuscité : voilà le concentré de notre foi. La Résurrection confère une portée universelle au message du Christ, à son action et à toute sa mission. Les disciples se rendent compte que le Royaume est déjà présent dans la personne de Jésus et qu’il est instauré peu à peu dans l’homme et dans le monde par un lien mystérieux avec lui.