Au fond, en vue de quoi allons-nous à la messe ? Pour en recevoir de nombreux fruits d’amour. Nous les connaissons déjà, mais peut-être n’est-il pas inutile d’en raviver ce soir le souvenir pour mieux les goûter lors de nos prochaines célébrations eucharistiques, en particulier le dimanche qui, comme le suggère une homélie du IVe siècle est autant le jour du Seigneur que le « seigneur des jours » (Dies Domini 2). Le Catéchisme de l’Eglise Catholique, dont je ne saurais trop recommander la lecture, en énumère six.
Le premier fruit, le fruit principal pourrait-on dire, celui dont tous les autres découlent, c’est l’accroissement de notre union au Christ (CEC 1391-1392). Jésus nous dit en effet : « Qui mange ma Chair et boit mon Sang demeure en moi et moi en lui » (Jn 6, 56). De même que l’aliment matériel nourrit notre vie corporelle, la communion nourrit de façon admirable notre vie spirituelle. La vie de grâce, reçue au baptême, est ainsi conservée, accrue et renouvelée. « Cette croissance de la vie chrétienne a besoin d’être nourrie par la communion eucharistique, pain de notre pèlerinage, jusqu’au moment de la mort, où il nous sera donné comme viatique » (CEC 1392). J’en profite pour rappeler, en passant, que le sacrement à donner en priorité au mourant c’est l’eucharistie reçue en viatique. Le Rituel dit expressément : « Si le péril de mort est immédiat, le prêtre donnera immédiatement le Viatique afin que le malade, au départ de cette vie, fortifié en recevant le Corps et le Sang du Christ, soit muni du gage de la résurrection. En effet, les fidèles en danger de mort sont tenus par précepte de recevoir la sainte communion » (§ 174).
Le second fruit, c’est l’effacement des péchés véniels (CEC 1393-1394). Avouons que nos idées manquent parfois de clarté en ce domaine. Saint Jean, épris d’amour pour Jésus, nous enseigne, dans sa Première épître, que tous les péchés n’ont pas la même gravité. Il précise même qu’il existe deux types de péchés : certains, qui conduisent à la mort ; d’autres, en revanche, qui ne conduisent pas à la mort (1 Jn 5, 16-17). Ces derniers sont les péchés dits véniels, ou légers. Ils sont remis par l’eucharistie. En effet, elle fortifie la charité laquelle, nous ne le voyons que trop dans notre vie quotidienne, tend à s’affaiblir. Dit autrement, dans ce sacrement, le Christ se donne tout entier à nous. Il ravive notre amour et nous rend capables de rompre les attachements désordonnés aux créatures et de nous enraciner en Lui. Le Père R. Cantalamessa, un des grands spirituels de notre temps, aime à comparer l’eucharistie à un cœur. « Il en va de même », dit-il, « dans le domaine spirituel, pour l’Eucharistie, le cœur de l’Eglise, qui est le Christ. A chaque messe, il reçoit un afflux de sang vicié, de partout ; au moment de communier, je jette, en lui, mon péché, tout ce qui est impureté en moi pour qu’elle soit détruite, et lui me rend un sang pur, son propre sang, le sang de l’Agneau immaculé, plein de vie et de sainteté, "remède d’immortalité" (saint Ignace d’Antioche) » (R. CANTALAMESSA, L’Eucharistie notre sanctification, p. 49).
Le troisième fruit, c’est la préservation des péchés mortels (CEC 1395). Qui parmi nous n’a jamais souhaité être débarrassé d’un péché qui l’affecte profondément et dans lequel il retombe souvent ? Plus nous participons avec ferveur à la célébration de l’eucharistie, plus nos liens d’amour avec le Christ se consolident. Il devient alors plus difficile de rompre avec Lui par un péché mortel. Le Corps du Christ que nous recevons dans la communion est proprement « livré pour nous », et le Sang que nous buvons, est « versé pour la multitude en rémission des péchés ». Est-il besoin de rappeler que le pardon de nos péchés graves n’intervient que dans le sacrement de pénitence et de réconciliation ? Un sacrement que de plus en plus de catholiques de tous âges semblent redécouvrir, ce dont il faut se réjouir. Je connais des prêtres qui, après avoir traversé des années de souffrance, ont redécouvert l’une des plus belles facettes de leur sacerdoce, en étant sollicité par les laïcs dans ce ministère de miséricorde. Chers amis, on ne dira certainement jamais assez combien vous nous faites du bien et combien vous nous aidez à être toujours plus prêtres à votre service, en nous demandant ce pour quoi nous avons été ordonnés. On a conservé la trace, dans un écrit du Ier siècle, de l’avertissement qui retentissait au cours de l’assemblée liturgique : « Qui est saint, qu’il s’approche ! Et qui ne l’est pas, qu’il éprouve du repentir ! » (Didachè 10). Nul signe avant-coureur de jansénisme dans cet appel. Seulement la prise au sérieux, non seulement par les fidèles mais aussi par les prêtres, de l’avertissement de saint Paul : « celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur sans savoir ce qu’il fait aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. On doit donc s’examiner soi-même avant de manger de ce pain et de boire à cette coupe » (1 Cor 11, 27-28). Que cette invitation nous pousse à retrouver le chemin de la surabondante miséricorde divine. Quand bien même nous aurions commis les pires péchés, souvenons-nous de l’affirmation désarmante de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Docteur de l’Eglise : « moi, si j’avais commis tous les crimes possibles, je garderais toujours la même confiance, car je sais bien que cette multitude d’offenses n’est qu’une goutte d’eau dans un brasier ardent. »
Le quatrième fruit n’est autre que l’unité du Corps mystique : l’Eucharistie fait l’Eglise (CEC 1396). Lorsque nous communions, nous sommes unis plus étroitement au Christ. En lui, nous ne sommes pas seuls. En lui, nous ne sommes pas non plus une masse indifférenciée d’individus sans noms. Nous sommes unis à tous ceux qui appartiennent au Corps du Christ qui est l’Eglise. Unis, nous l’étions déjà par le baptême. Nous étions aussi appelés à ne faire qu’un seul corps (1 Cor 12, 13). C’est l’Eucharistie réalise cet appel : « La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas communion au Sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au Corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un pain, à nous tous nous ne formons qu’un corps, car tous nous avons part à ce pain unique » (1 Cor 10, 16-17). Nous pouvons dire non seulement que chacun d’entre nous reçoit le Christ, mais aussi que le Christ reçoit chacun d’entre nous. Il resserre son amitié avec nous : "Vous êtes mes amis" (Jn 15, 14). Quant à nous, nous vivons grâce à lui : "Celui qui me mangera vivra par moi" (Jn 6, 57). Pour le Christ et son disciple, demeurer l’un dans l’autre se réalise de manière sublime dans la communion eucharistique : "Demeurez en moi, comme moi en vous" (Jn 15, 4) » (Ecclesia de eucharistia 22). Si cette question vous intéresse plus particulièrement, sachez que le Pape consacre tout le chapitre II de sa dernière encyclique au développement de ce sujet.
Le cinquième fruit, c’est l’engagement envers les pauvres (CEC 1397). Ayant reçu le salut, nous ne pouvons le conserver égoïstement car « Celui qui nous a créés sans nous, ne nous sauve pas sans nous » (ST AUGUSTIN, Serm. 169, 13) ; ce qui veut dire que notre salut exige notre réponse coopérante. Pouvons-nous recevoir en vérité le Corps du Christ livré pour nous, qui sommes si pauvres devant Lui, si, à notre tour, nous refusons de reconnaître le Christ dans les plus pauvres ? « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Mme Périer, la sœur du grand Blaise Pascal, raconte qu’au soir de sa vie, celui-ci ne gardait rien. Il ne pouvait donc pas recevoir l’eucharistie en viatique. Et bien, savez-vous ce qu’il fit ? Il demanda qu’on lui amenât un pauvre afin que « ne pouvant communier à la Tête, il puisse au moins, disait-il, communier à son corps ». Nous sommes le Corps du Christ. « Chaque Messe, même célébrée de manière cachée et dans une région retirée du monde, porte toujours le signe de l’universalité. Le chrétien qui participe à l’Eucharistie apprend par elle à se faire artisan de communion, de paix, de solidarité, dans toutes les circonstances de la vie » (Mane nobiscum Domine 27).
Comme les cinq précédents, le sixième et dernier fruit énoncé par le Catéchisme de l’Eglise Catholique découle, lui aussi, du premier (CEC 1398-1401) : l’eucharistie nous presse vers l’unité des chrétiens. « D’autant plus douloureuses se font ressentir les divisions de l’Eglise qui rompent la commune participation à la table du Seigneur, d’autant plus pressantes sont les prières au Seigneur pour que reviennent les jours de l’unité complète de tous ceux qui croient en Lui » (CEC 1398). Dans ce domaine si douloureux, l’Eglise catholique établit toutefois une distinction entre les Orthodoxes, dont l’eucharistie est reconnue comme valide, et les communautés ecclésiales issues de la Réforme qui, « "en raison surtout de l’absence du sacrement de l’Ordre, n’ont pas conservé la substance propre et intégrale du mystère eucharistique" (UR 22). C’est pour cette raison que l’intercommunion eucharistique avec ces communautés n’est pas possible pour l’Eglise catholique » (CEC 1400).
Au terme de ce trop rapide survol, nous n’oublions pas que nous appartenons tous à une paroisse. Prêtres, religieux, religieuses, fidèles laïcs, hommes et femmes, proches ou loin de la vie de l’Eglise, nous sommes tous liés à une communauté locale, avec ses joies et ses peines, ses grâces et ses soucis. Sans doute savez-vous que le terme de paroisse vient du grec (paraoikeo) et qu’il signifie « à côté de l’habitation » pour mettre en relief l’idée d’exil, de précarité, de pèlerinage. En effet, au cours de notre vie terrestre, nous sommes des pèlerins, des pèlerins attirés par le ciel où nous ne sommes pas encore. Acceptons de reconnaître que, sur cette terre, le pur amour n’existe pas. Nous avons bien besoin d’identifier les motivations qui nous poussent à aller à la messe ; c’est ce que j’essaie de faire avec vous, ce soir. En ravivant le souvenir des fruits de la communion eucharistique, je souhaite aussi faire grandir en vous le désir de la recevoir, et de la recevoir souvent. En même temps, je n’ignore pas que ces motivations seront toujours à purifier pour être dignes de l’amour, dans sa beauté, sa pureté, sa gratuité. En effet, « ce n’est pas sans récompense qu’on aime Dieu, bien qu’on doive se garder de l’aimer en vue d’une récompense » (S. BERNARD, De dil. Deo 17).
Permettez que je rappelle ce que je vous disais en introduction : la connaissance est requise pour que grandisse l’amour, mais elle demeure largement insuffisante. L’amour requiert aussi l’expérience, personnelle et intime, que nul autre ne peut vivre à ma place. Sainte Thérèse d’Avila nous prévient que « l’avancement de l’âme ne consiste pas à penser beaucoup, mais à beaucoup aimer » (Fondations, ch. V).
Avec saint Augustin, prions Dieu pour qu’il se donne à nous : « Donnez-vous à moi, mon Dieu, rendez-vous à moi, car je vous aime. Si mon amour est trop médiocre, faites que je vous aime avec plus de force. Je ne peux mesurer, je ne peux savoir ce qui manque à mon amour pour qu’il soit suffisant, pour que ma vie se jette dans vos embrassements, et ne s’en détache point avant de se perdre "dans le secret de votre visage". Je ne sais qu’une chose, c’est que je me sens mal partout où vous n’êtes pas, non seulement hors de moi, mais en moi-même ; et que toute abondance de biens qui n’est pas mon Dieu n’est pour moi que misère » (Confessions XIII, 9).