L’oraison, un doux commerce d’amour
Cette rubrique s’adresse à ceux qui souhaitent “entrer en oraison”. Plutôt que la formule : “faire oraison” qui donne l’image d’un travail dont on s’acquitte. Elle n’est pas fausse : l’oraison est souvent un vrai labeur, mais elle met l’insistance sur cet aspect plutôt que sur le but et le contenu de cette activité qui est plus celle de Dieu que la nôtre.
Le mot prière, issu du latin “precare”, exprime une facette très limitée bien qu’essentielle de la prière. Implorer, supplier, solliciter : la prière n’est pas que cela.
Bien sûr, nous avons besoin du secours du monde surnaturel - le premier secours étant d’apprendre à prier -, mais nous sommes invités à beaucoup plus qu’une simple relation d’échange de bons services (à solde largement débiteur de notre côté). Il est vrai que souvent, la dernière relation qui reste lorsque la foi s’affaiblit consiste à se tourner vers Dieu pour lui demander une aide qu’il semble être seul à pouvoir nous offrir et ainsi, la relation à Dieu peut se réduire à la prière (demande).
Une petite histoire - je ne sais pas si elle est authentique - illustre, à mon avis, cette polysémie de la prière :
Des chanoines récitent l’office et, au dehors, un orage gronde. Il devient tellement violent que les pères craignent que l’église ne résiste pas à la violence des éléments. Le plus ancien se lève alors et dit : “mes frères, arrêtons l’office et prions”.
Nous pouvons bien sûr sourire en pensant que ces hommes récitaient leur office par habitude et que la peur du danger réveille en eux une vraie prière qu’ils auraient dû pratiquer en toutes circonstances. Peut-être, mais je pense aussi qu’on peut penser qu’à travers l’office - les hymnes, les psaumes, les lectures - nous ne faisons pas que demander quelque chose à Dieu (precare, prier), mais nous le louons, le bénissons, l’adorons, lui rendons grâce, écoutons son enseignement avec les oreilles du cœur. En ce sens, l’injonction de ce chanoine voulait dire : prions, c’est-à-dire implorons Dieu qu’il nous préserve du danger.
Le Seigneur nous invite à une amitié : “Je vous appelle mes amis” et cette amitié à laquelle nous sommes appelés assume toutes les autres facettes de notre relation à Dieu : Dieu reste notre créateur, il nous conduit avec une Providence sans faille - ce qui n’est pas toujours facile à discerner et parfois même à croire -, nous rachète de ce qui affaiblit, voire détruit notre relation pourtant vitale avec Lui, nous divinise et nous prépare à la gloire.
Une relation souvent déroutante parce qu’unique
Pour nous faire comprendre la relation qu’il veut engager avec nous, Dieu utilise de nombreuses expériences humaines : ami, père, époux, roi, pasteur.
Sainte Thérèse observait avec attention la manière dont sa cousine se comportait avec son fiancé lorsqu’elle lui rendait visite pour s’inspirer de cette expression humaine de l’amour dans sa relation avec Dieu. Mais la relation de Dieu avec chacun d’entre nous est beaucoup plus que la plus belle et la plus profonde des expériences humaines de l’amour.
On avance dans l’oraison comme sur une route que nous parcourons pour la première fois. C’est la raison pour laquelle l’enseignement de ceux qui ont déjà fait la route est si précieux, même si elle est différente pour chacun d’entre nous. Les anciens parlaient des maîtres spirituels, en les comparant aux théologiens savants, à des personnes qui avaient parcouru un pays et qui en savaient beaucoup plus que ceux qui ne connaissaient que la carte.
A la fin de sa vie, Saint Antoine du désert a eu une vision de tous les obstacles que le démon (ou parfois notre simple faiblesse) met sur le chemin des moines (qui, par vocation doivent se consacrer totalement à la prière), tous les pièges qu’il leur tend. Découragé, il gémissait en demandant : “Seigneur, mais qui parviendra au but”. Et il entendit une petite voie lui répondre :