Billet spirituel - Mars 2018

Jeudi 12 avril 2018

Le don de la terre

« Ils ne connaissent ni ne voient ma miséricorde mais, comme s’ils croyaient avoir comme dû ce qu’ils ont de moi, parce que l’orgueil les a aveuglés, ils ne voient pas qu’ils l’ont seulement par grâce  ». (Catherine de Sienne, Dialogue, n° 128).

Ces paroles que Dieu adressait à sainte Catherine en lui parlant des prêtres infidèles à la grâce de leur ordination semblent, à première vue, ne pas nous concerner ; elles sont cependant, si on les lit avec attention, chargées d’une précieuse leçon dont la portée est générale. Elles valent pour le chrétien d’abord, bien sûr, mais aussi pour toute personne de bonne volonté qui veut bien réfléchir.

En effet, quelle est pour l’homme la véritable réalité, ce dont il est sûr et sur quoi il peut s’appuyer ? Les images virtuelles qui apparaissent sur nos écrans ? Certainement pas. Serait-ce, ce serait plus réaliste déjà, la matière que l’on peut toucher, le visible, le palpable, ou encore le succès, la carrière ou l’argent ? Mais tout cela disparaîtra ; selon le dicton populaire, « nous ne l’emporterons pas en paradis ». Bâtir notre vie sur ces réalités que saint Benoît appelle «  transitoires, terrestres et caduques », ce serait, comme dit l’Évangile, bâtir sur le sable. Alors, quel est le fondement de tout ? L’Écriture nous le dit : c’est la Parole de Dieu, ipse dixit et facta sunt, il a dit et les choses furent créées (Ps 148, 5). Et qu’est-ce que Dieu a créé ? «  Le ciel et la terre », répond le 1er article du Credo. En disant « la terre », on désigne ici toutes les réalités physiques avec les lois qui leur sont propres ; elles sont déjà une manifestation de Dieu, et saint Anselme a pu parler du «  livre de la création » par analogie avec la Bible.

Et que dit Dieu après avoir créé le ciel et la terre et après y avoir placé l’homme et la femme ? Il leur dit : « Emplissez la terre et soumettez-la ». Il serait trop réducteur de comprendre cette injonction du seul travail agricole, comme si Dieu n’avait eu en vue que celui-là. Il s’agit en fait de tout le travail que l’homme peut faire sur la terre pour la garder, la mettre en valeur et la faire fructifier selon le plan divin.

Si Dieu n’a pas ignoré les autres métiers humains, celui de la culture de la terre est honoré de sa part d’une attention spéciale. En effet, en bien des professions, l’homme met beaucoup de lui-même, même s’il se sert d’éléments qu’il trouve déjà faits dans la nature, comme l’eau, le minerai ou le gaz. L’agriculteur, lui, se tient plus proche du Créateur en ce sens qu’il emploie directement la terre et qu’il la travaille pour lui faire donner du fruit selon ses lois propres : la croissance, le développement, la corruption, lois qui ont été fixées par Dieu et qu’il n’a pas lui-même établies comme il peut le faire pour les proportions d’un alliage ou pour les termes d’un contrat commercial.

Et pour en revenir à l’Écriture Sainte, celle-ci privilégie la terre et le travail de la terre dans l’enseignement qu’elle donne sur le Créateur, tant par sa manière de s’exprimer que par le choix de ses comparaisons. C’est aussi vrai dans l’Ancien Testament, par exemple la pluie et la neige qui descendent du ciel et n’y remontent pas avant d’avoir accompli ce pour quoi le Seigneur les a faites, et qui, en cela, donnent une fidèle image de la parole de Dieu, qui jamais ne manque son but (Isaïe ch. 55, v. 10 et 11), que dans le Nouveau Testament : pensons à toutes les paraboles agricoles de Jésus : celle du semeur, celle des brebis et du bercail, celle du grain de sénevé, celle du levain dans la pâte, celle des oiseaux du ciel et des lys des champs, celle de l’ivraie dans le bon grain. Le paysan est donc mieux placé qu’un autre travailleur pour «  reconnaître dans la nature l’œuvre de Dieu  », comme disent les scouts, puisque, plus qu’un autre, il vit dedans, au rythme des saisons, et qu’il en dépend pour sa subsistance. Encore faut-il qu’il évite tout matérialisme, qu’il ne prenne pas la terre comme un dû mais comme un don dont il est bénéficiaire, et là nous retrouvons ce que disait Dieu à sainte Catherine de Sienne.

C’est d’autant plus vrai que ce ne sont pas seulement les images bibliques qui se rapportent au travail agricole, mais également la manière dont Dieu nous accorde la grâce, réalité surnaturelle qui, elle, ne nous est due en aucune façon et qui est purement gratuite ; ce sont ces éléments naturels dont Jésus a bien voulu se servir en instituant les sacrements, ces signes efficaces des dons surnaturels : l’eau, l’huile, le baume, et tout particulièrement le pain et le vin de l’Eucharistie auxquels il a daigné lier sa présence personnelle sur les autels. Comment ne pas rendre grâces devant tant de dons, comme l’a fait pendant sa vie terrestre Jésus lui-même ?

Un moine de l’Abbaye de Randol

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