La biofumigation, une méthode de lutte contre les maladies du sol

Par Vincent Michel
Lundi 11 novembre 2013

Nous publions ici cet article avec l’aimable autorisation de son auteur, qui travaille à la station de recherche Agroscope Changins-Wädenswil ACW, Centre des Fougères, à Conthey (Suisse)

La biofumigation est une méthode biologique visant à réduire le nombre de pathogènes, de ravageurs et de semences de mauvaises herbes dans le sol. Elle est basée sur l’utilisation de plantes riches en glucosinolates, principalement des crucifères. Lors de la décomposition de ces plantes, les glucosinolates sont transformés en isothio- et thiocyanates, molécules volatiles et toxiques pour certains organismes du sol. L’effet de la biofumigation contre la verticilliose, une maladie du sol, a été testé dans une série d’essais au champ et en pot. Les microsclérotes, forme de survie de la verticilliose dans le sol, ont pu être réduits de 19 à 74%. L’efficacité de la biofumigation dépend beaucoup de l’application correcte de cette méthode.

Introduction

La biofumigation est basée sur la libération de molécules toxiques et volatiles lors de la dégradation de certaines plantes. Les espèces végétales qui se prêtent spécialement à la biofumigation appartiennent à la famille des crucifères (diverses moutardes, roquette, radis). Ces espèces contiennent une grande quantité de glucosinolates* dans la vacuole* cellulaire. La cellule contient également – mais dans un autre compartiment que les glucosinolates – l’enzyme* myrosinase. Lors de la dégradation de la cellule, les glucosinolates entrent en contact avec cette enzyme et sont par la suite transformés en isothio- et thiocyanates et en deux autres groupes de molécules (Matile, 1980 ; Rollin et Palmieri, 2004). Les isothio- et thiocyanates sont toxiques et volatiles. Elles sortent des cellules par des fissures du tissu végétal et sont diffusées dans l’environnement.

Lors d’une incorporation des plantes dans le sol, ces gaz pénètrent dans la terre environnante et y tuent certains pathogènes, ravageurs et semences de mauvaises herbes. La biofumigation a un effet sélectif, contrairement au bromure de méthyle. D’une part, les différentes espèces de plantes contiennent différents glucosinolates, mais seuls certains glucosinolates génèrent des isothio- et thiocyanates sous l’action de la myrosinase (Rollin et Palmieri, 2004). L’effet de biofumigation d’une plante est donc plus ou moins marqué selon la composition des glucosinolates qu’elle contient dans ses cellules (Kirkegaard et Matthiessen, 2004). D’autre part, les micro-organismes, champignons et bactéries, sont différemment affectés par les isothio- et thiocyanates. Par exemple, de faibles quantités de ces molécules suffisent pour tuer certains pathogènes tels que Sclerotinia ou Pythium, alors qu’il faut des doses trente fois supérieures pour venir à bout des Trichoderma (Kirkegaard et Matthiessen, 2004), des champignons dégradant la cellulose et connus comme antagonistes de certains pathogènes.

La technique de la biofumigation nécessite des variétés spécialement sélectionnées pour cet usage, telles que les variétés Bluformula. Ces variétés sont riches en glucosinolates ; de plus, ces glucosinolates sont ceux qui se transforment en isothio- et thiocyanates lors de la transformation par lamyrosinase. Lorsque les plantes ont accumulé la plus grande quantité de glucosinolates (stade de pleine floraison), elles sont broyées très finement pour accélérer le processus de la dégradation et mélangées avec le sol.

Pour garantir une formation rapide des substances toxiques, le sol doit être humide. La vitesse de la formation d’isothio- et thiocyanates est primordiale pour l’efficacité de la biofumigation, qui dépend de la concentration maximale d’isothio- et thiocyanates obtenue dans le sol. Cette concentration est normalement atteinte un à deux jours après l’enfouissement des plantes de biofumigation. En raison de la nature volatile des isothio- et thiocyanates, leur concentration dans le sol diminue rapidement. Une semaine après l’enfouissement, il est alors possible de mettre la culture en place.

Résultats et discussion

L’efficacité de la biofumigation dépend de plusieurs facteurs. Premièrement, le broyage des plantes, qui est d’une grande importance pour réussir la biofumigation, doit être assez fin. Pour obtenir un effet maximal, le broyage ne doit pas seulement couper les plantes le plus finement possible, mais idéalement écraser le plus grand nombre de cellules (Matthiessen et al., 2004). Ce résultat peut être obtenu avec un girobroyeur à marteau ou une faucheuse équipée d’un éclateur (à rouleaux de préférence).

Deuxièmement, la période d’incorporation est importante. La transformation des glucosinolates en isothio- et thiocyanates est une réaction biochimique dont la vitesse est fortement influencée par la température. Plus le sol est froid, plus cette transformation se déroule lentement. Lors d’un enfouissement tardif dans un sol froid, les quantités d’isothio- et de thiocyanates formés peuvent s’avérer insuffisantes et surtout la vitesse de transformation trop lente pour obtenir un effet de biofumigation suffisant. Ces premiers résultats dans l’utilisation de la biofumigation contre la verticilliose sont encourageants. Cette maladie est considérée comme plutôt résistante contre la biofumigation ; d’autres pathogènes du sol sont plus sensibles aux substances toxiques libérées par la biofumigation (Kirkegard et Matthiessen, 2004).

Des essais pour tester l’utilisation de cette méthode contre d’autres maladies du sol sont actuellement en cours à Agroscope Changins-Wädenswil. L’amélioration de la méthode est un autre volet de recherches et de développement, aussi bien en Suisse qu’à l’étranger. Elle comprend la création de nouvelles variétés pour la biofumigation. La plus forte réduction de microsclérotes obtenue avec la variété Bluformula ISCI-99 par rapport à la plus ancienne variété, ISCI-20, démontre le potentiel d’amélioration de la méthode par la création de nouvelles variétés. L’amélioration la plus récente consiste en l’utilisation des plantes de biofumigation sous forme de pellets (Lazzeri et al., 2004a). Depuis février 2006, de tels pellets sont commercialisés en Italie sous le nom de Biofence par Cerealtoscana à Livourne. Leur utilisation est actuellement testée à Agroscope Changins-Wädenswil.

Conclusions

- La biofumigation est une méthode culturale qui permet de réduire considérablement le nombre de microsclérotes de Verticillium dahliae dans le sol. D’après la littérature, elle est aussi efficace contre d’autres maladies du sol.
- Pour que la biofumigation soit efficace, l’application correcte de cette méthode de lutte est indispensable :
- utiliser des variétés sélectionnées pour la biofumigation, riches en glucosinolates.
- les incorporer au stade pleine floraison.
- broyer le plus finement possible les plantes avant l’incorporation.
- incorporer le plus profondément possible les plantes immédiatement après le broyage - après l’incorporation, le sol doit être bien humide. Irriguer en cas de sol sec, ou incorporer juste avant des précipitations.
- attendre une semaine avant la plantation ou le semis.
- appliquer la méthode pendant la période chaude de l’année (éviter une incorporation tard dans l’automne).

Glossaire Chlamydospore : cellule à paroi épaisse (forme de résistance) chez certains champignons. Enzyme : substance organique soluble qui catalyse une réaction bio-chimique. Fumigant : substance utilisée pour la fumigation, une méthode de stérilisation basée sur des produits chimiques volatils et toxiques qui sont injectés dans l’espace à traiter (sol, local de conservation). Glucosinolate : molécules organique qui contient du soufre, de l’azote et des dérivés de glucose. (Micro)sclérote : chez certains champi-gnons, organe de conservation de forme et de taille variables. Les microsclérotes sont des sclérotes de petites tailles. Mycélium : appareil végétatif des champi-gnons, formé de filaments ramifiés, généra-lement blancs. Oospore : spore des champignons appar-tenant aux oomycètes pourvue d’une paroi épaisse lui permettant de survivre dans le sol. Solarisation : méthode de stérilisation du sol basée sur l’augmentation de la chaleur en couvrant le sol avec un plastique transparent. Vacuole : cavité du cytoplasme des cellules, renfermant diverses substances en solution dans l’eau. Xylème : tissu végétal composé de cellules mortes avec la fonction de transporter la sève brute

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