La communauté est heureuse d’échange autour de notre vocation commune, celle d’agriculteurs chrétiens ; on peut le dire, il s’agit bien d’une vocation puisque Dieu lui-même dans la bible confie à l’homme la terre et il l’appelle à la cultiver : « le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Eden pour qu’il le travaille et qu’il le garde » (Gn 2, 15).
Cette « vocation », nous la partageons, nous aussi ! Elle s’inscrit à l’intérieur de notre vocation de moniales bénédictines. Le monde monastique a toujours eu un rapport particulier avec la terre. Le pape Paul VI déclarait saint Benoît Patron de l’Europe « parce que ce sont principalement lui et ses fils qui, avec la Croix, le livre et la charrue, apporteront le progrès chrétien aux populations s’étendant de la Méditerranée à la Scandinavie, de l’Irlande aux plaines de Pologne » (Bref Pacis nuntius de st Paul VI).
Avec la croix, c’est-à-dire avec la loi du Christ, il affermit et développa l’organisation de la vie publique et privée, et enseigna aux hommes la primauté du culte divin, la prière liturgique. Avec le livre, c’est-à-dire avec la culture, saint Benoît, a sauvé la tradition classique des anciens en la transmettant intacte à la postérité. Avec la charrue, qui touche notre sujet aujourd’hui, c’est-à-dire l’agriculture, et de manière plus vaste, le rapport des monastères avec la nature et celui des hommes avec la terre, saint Benoît réussit à « transformer des terres désertiques et incultes en champs très fertiles et en gracieux jardins ».
En unissant la prière au travail matériel, selon le mot fameux adressé à un moine issu d’une tribu barbare : « Prie et travaille », saint Benoît a contribué à ennoblir et élever le travail de l’homme. Ainsi l’expression « ora et labora », que l’on chercherait en vain dans le texte de la Règle de saint Benoît est devenue cependant caractéristique de la vie bénédictine, car elle en est le fruit.
Saint Benoît entrelace constamment travail manuel, lecture et prière. Ora et labora — Prie et travaille ! L’homme qui désire la vie éternelle ne peut étouffer la vie temporelle. La séparation entre : prière et travail, foi et vie, désir du cœur et actions, détruit l’homme, dans sa nature la plus profonde. Prière et travail marchent ensemble dans notre vie, pour que la vie tout entière aboutisse à sa vocation d’éternité, tout en étant utile, belle et féconde sur terre.
Saint Benoît exerce les moines à vivre cette unité à chaque son de cloche qui appelle à la prière : « À l’heure de l’office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce qu’on a dans les mains (…). On ne préférera donc rien à l’Œuvre de Dieu » (RB 43,1-2). La prière qui interrompt l’œuvre des mains est remplie du désir de l’offrir, d’en faire quelque chose de beau et fécond. La prière rend l’homme instrument du Créateur, alors tout devient liturgie, culte rendu à Dieu, supplication et action de grâce. La vie s’unifie dans la préférence de Dieu.
Saint Benoît fait du travail une école de prière. La prière de l’office divin rejoint le travail par le cœur, le silence qui pense à Dieu et médite sa Parole ; et le travail rejoint la prière, comme offrande de l’œuvre humaine pour que Dieu la transforme en œuvre divine.
Le travail manuel, par son adéquation au réel, nous oblige à respecter les rythmes des êtres et des choses, c’est un chemin de purification et de silence intérieur, d’unification spirituelle. Toute notre journée : office, lectio, travail, étude et vie fraternelle n’ont qu’une seule fonction : nous aider à chercher Dieu. Le travail sera un chemin d’union à Dieu, si bien sûr nous savons l’utiliser : c’est un but vers lequel nous tendons !