Billet spirituel - Janvier 2022

Mardi 18 janvier 2022

Le temps convenable

Parfois un beau souvenir nous revient en mémoire, tel épisode de notre passé, telle rencontre décisive pour l’orientation de notre vie. Nous nous disons « C’était le bon temps ». Même les anciens disent volontiers « de notre temps » comme s’ils avaient eu le privilège de vivre un temps qui n’existe plus tandis que le nôtre, qui pourtant fait partie du temps, n’est pas comparable au leur.

Il est vrai qu’aujourd’hui nous reconnaissons que les temps sont durs ou que le temps passe trop vite et que nous n’avons pas le temps ou même au contraire que nous aurons toujours assez de temps ou que ce n’est pas encore le temps et qu’il faut prendre son temps ou vivre avec son temps. Et quelle conversation ne commence pas bien souvent par une évocation du temps : pluie ou beau temps.

Le temps est donc une réalité un peu surprenante impliquée dans des situations très différentes et cependant liées nécessairement entre elles. Aucune ne lui échappe car tout ce que nous vivons, nous le vivons dans le temps.

Alors qu’est-ce que le temps ?

Saint Augustin s’est posé cette question (Conf Liv II, Ch 13) et il s’en explique avec son esprit toujours pénétrant  : « Si rien ne passait, dit-il, il n’y aurait pas de temps passé  ; si rien n’advenait, il n’y aurait pas de temps à venir ; et si rien n’était, il n’y aurait pas de temps présent   ». Le saint docteur part d’une constatation de bon sens dont tout le monde fait l’expérience quotidienne. Le temps évoque nécessairement soit une époque qui déjà n’existe plus, soit un moment que nous vivons maintenant, soit enfin un avenir plus ou moins proche. « Et si l’on conçoit un point dans le temps sans division possible de moment, c’est ce point-là, seul, qu’on peut nommer présent.  » Et notre docteur n’en reste pas là : «  Ce point vole, rapide, de l’avenir au passé, durée sans étendue : car s’il est étendu, il se divise en passé et avenir. Ainsi, le présent est sans étendue. Ce n’est donc que dans sa fuite que le temps s’aperçoit et se mesure. » Alors sa conclusion : il existe trois temps, le passé, le présent et l’avenir, mais le présent seul existe, les deux autres n’existent pas.

Dieu s’incarne dans le temps.

Jésus a voulu nous rejoindre en devenant l’un de nous par son incarnation. Il a pris ce temps, notre temps. Il l’a pris comme nous-mêmes nous ne pouvons que le prendre, c’est-à-dire dans une durée constamment fugitive et constamment renouvelée : une chose après l’autre, un événement après l’autre. Jésus a expérimenté chaque heure de notre temps en la vivant pleinement, tout occupé à l’offrir à son Père en exécutant parfaitement sa volonté de salut sur l’humanité. C’est une leçon de chose pour nous.

Nous voyons donc que le Seigneur a toujours voulu respecter le rythme qu’il s’était imposé pour venir à notre rencontre. Il dispose du temps avec sagesse et ne brusque rien ni personne. Cela fait partie du mystère et de la réalité de son incarnation. Et maintenant qu’il est stabilisé dans sa résurrection, il nous a donné la clef de lecture de notre aventure et de notre temps personnel. Car il est celui qui a été, qui est, et qui vient : « Je suis l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.  » (Ap 1, 8) Vous voyez, il est comme nous, pris dans le passé, dans le présent et dans l’avenir, mais il est, outre cela, le Tout-Puissant. Alors cela change tout pour nous. Toute son histoire terrestre a une finalité qui est notre salut dans la perspective qui nous est désormais ouverte de notre propre glorification éternelle.

Dieu est le Tout-Puissant, l’Éternel.

Quand nous disons que Dieu est éternel, cela signifie qu’il n’est pas, comme nous, dans le temps. L’éternité reste le propre de Dieu. Dieu seul est éternel puisque seul il est absolument immuable, l’éternité ne comportant ni avant ni après, et les excluant absolument.

L’éternité ne se mesure donc pas comme le temps. L’éternité est hors du temps bien que nous ne puissions nous en faire une idée qu’à partir du temps. Dans ce qui est sans mouvement, explique saint Thomas (1 q. 10 al), on ne peut pas distinguer un avant et un après. Donc constater cette uniformité en ce qui ne bouge pas du tout, nous donne la notion d’éternité. Ce qui est absolument immuable, n’a pas de succession et ne peut avoir davantage de commencement ni de fin, voilà l’éternité. C’est ce qui est sans terme, c’est-à-dire sans commencement et sans fin (interminable aux deux bouts), et sans succession, c’est-à-dire existant toute à la fois. Alors l’éternité, pour nous, est l’opposé, la négation, du temps, ce qui ne s’en va pas, qui ne s’écoule pas.

Vivre, c’est remplir le présent d’éternité.

C’est la leçon que nous pouvons tirer pour notre temps dans ses trois dimensions de passé, de présent et d’avenir.

D’abord demander pardon au Seigneur pour le passé peut-être mal employé et souvent gaspillé.

Puis garder bien chevillée au cœur une joyeuse espérance pour l’avenir puisque nous savons que l’espérance ne déçoit pas et qu’elle donne déjà un part de ce que l’on attend notamment dans la communion eucharistique fréquente.

Et enfin, pour le présent, le seul en réalité qui existe, en prendre pleinement une joyeuse possession, le remplir d’éternité, c’est-à-dire de stabilité dans le bien penser et le bien faire, dès que l’occasion s’en présente et comme elle se présente, dans la non moins joyeuse acceptation de tout ce que le Seigneur nous dévoile au fur et à mesure du déroulement de notre temps. Il n’y a que le présent où nous pouvons ferrailler, c’est-à-dire apprendre constamment de tout et de tous, à prier, à travailler et à vivre enfin.

Un moine de Triors

Extrait d’une conférence donnée en juin 2021 au groupe de prière de la Drôme.

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