Billet spirituel - Juillet 2022

Mercredi 20 juillet 2022

 Respirer, admirer, lâcher prise, remercier

Voilà des décennies que nous sommes entraînés dans une spirale de « rentabilité », où il faut sans cesse produire plus et plus vite. En cela, nous sommes happés par l’industrialisation, la mécanisation et l’informatisation. Nous vivons dans la négation du temps : ah ! si nous pouvions réduire les temps de gestation [ou de production] grâce à des engrais, des désherbants efficaces, ou des techniques [de pointe] !

Est-il possible d’échapper à cet engrenage ? Rappelons-nous le film prémonitoire de Charlie Chaplin : Les temps modernes, en sommes-nous sortis ou bien continuons-nous cette irrésistible fuite en avant ? Je dois vous avouer que, dans nos monastères, nous ne savons pas quelles options choisir. Comment concilier une économie saine et humaine et une vie contemplative. À quoi sert la Beauté si personne ne prend le temps de la contempler ? Sommes-nous conscients du miracle que représente un seul brin d’herbe ? Il a fallu des milliards d’années pour arriver à cette merveille. […]

Dieu prend son temps, il a tout son temps, il est maître du temps, il n’est jamais très pressé. À ses disciples qui voudraient que ça aille plus vite, Jésus répond « pour vous il est toujours temps » ou bien «  mon temps n’est pas encore venu ». Et saint Pierre, dans sa lettre, dit que pour Dieu mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans. Vouloir que le blé pousse plus vite en tirant sur la tige est la gaminerie dans laquelle nous nous laissons constamment piéger.

Au siècle de la vitesse et de l’accélération, comment résister à l’emballement collectif ? Comment résister à la pression du toujours plus et toujours plus vite ? Où est donc le temps du repos, le temps de s’arrêter pour contempler, s’asseoir devant sa porte et regarder les champs verdir, les fleurs éclore… au lieu de courir avec les citadins qui, après avoir couru au travail, courent après ce qu’ils appellent des loisirs ? Les agriculteurs doivent-ils se résigner à n’être plus que des industriels de la terre ? Des « exploitants » jusqu’à épuisement ? Épuisement de la terre et épuisement de fatigue jusqu’au burn-out ? Comment prendre le temps au lieu de courir sans cesse après le temps ?

Pouvons-nous réintroduire de la gratuité dans notre travail ? Non pas du temps pour bailler aux corneilles, mais du temps pour respirer, pour admirer, pour lâcher prise et pour enfin remercier, rendre grâce. En grec, « merci » se dit « Eucharistô », ce qui donne « eucharistie » en français. L’eucharistie, c’est dire « merci » à Dieu. […]

Ce qui nous conduit à un basculement : l’irruption de l’Autre qui seul peut briser le cercle infernal. Ce qui est admirable dans le récit biblique de la création, c’est que Dieu prend le temps de s’asseoir sept fois pour admirer la beauté de la Création : « Dieu vit : que c’est beau ! », et ailleurs il est dit que les anges en voyant le résultat crient « Hourrah ! » […]

Jésus, bien qu’artisan, est un homme de la terre. Un mot revient sans cesse sur ses lèvres : « heureux, bienheureux !  ». C’est le mot d’un homme émerveillé. Jésus est un homme qui VOIT, qui contemple et qui rend grâce. « Je te rends grâce, Père du ciel et de la terre. » Le regard et l’émerveillement de Jésus sont la manifestation visible du regard et de l’émerveillement de son Père : «  Dieu vit : c’était beau ! ». […]

Rien n’exaspère davantage Jésus que l’enfermement, l’encroûtement qui ne sont qu’une forme d’idolâtrie, blocage dans un MOI sclérosé, dans des habitudes ou, ce qui revient au même, dans la course effrénée après les nouveautés.

Si Jésus nous invite parfois à nous asseoir et à calculer, il nous invite plutôt à marcher et à contempler. Jésus nous invite aussi à ne pas regarder en arrière avec une image très paysanne : « celui qui met la main à la charrue et qui regarde en arrière, n’est pas bon pour le Royaume de Dieu ». Ce qui veut dire que la beauté n’est pas derrière nous mais devant nous, dans tous les sens du mot « devant ». La beauté est le résultat d’un acte créateur. « Voici, je fais toutes choses nouvelles » dit le Seigneur dans l’Apocalypse.

La beauté est d’abord dans le regard, dans la capacité de voir autre chose : « l’homme regarde à l’apparence, Dieu regarde au cœur ». « Voyez, les champs blondissent déjà pour la moisson… »

Notre regard sur la Création est-il un regard de convoitise : combien ce champ va-t-il me rapporter ? Ou bien un regard d’amour, de bénédiction, de communion ? Le gavage d’images (télé, smartphones…) finit par émousser notre sens du beau : les spectacles (ouverture/clôture des JO, foot, etc.) ne sont pas beaux mais émotionnels. Ils s’accompagnent généralement de cris et de clameurs, alors que la beauté invite à la paix du cœur et au silence.

D’après la conférence du frère Pierre de l’Abbaye d’En Calcat pour la journée Occitanie du 22 mai 2022.

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